L’interopérabilité : langue de la République numérique ? (Carte blanche parue dans 01 informatique N°1930 du 20 décembre 2007)

Le Français est la langue de la république, c’est dans la constitution. Cela a permis de créer la Nation Française, de partager ses valeurs et de construire un projet commun. Dans la société de l’information, avec son cortège de procédures administratives dématérialisées, de renseignements en ligne sur internet et de fichiers électroniques, les citoyens ont beau parler la même langue, cela ne suffit plus. C’est aux systèmes d’informations de communiquer dans une langue compatible. En effet, un dossier informatique géré dans une collectivité doit pouvoir être suivi ou repris dans une autre si nécessaire. De même, un enfant qui suivra sa scolarité dans une commune et qui utilisera un cartable électronique en ligne sur internet devra pouvoir récupérer ses notes, son cahier de texte et l’ensemble de ses cours dans sa nouvelle école s’il déménage. Mais ce n’est pas le cas ! La France est en train de produire une gigantesque bureaucratie électronique à tous les échelons de son administration : communes, intercommunalités, départements, régions, Etat et établissements publics.

Ne pas mutualiser est un non sens
La plupart du temps, la collectivité ou l’administration développe des solutions sur mesure ou bien utilise des logiciels dit « métier », car spécifiques à une activité, dont l’offre commerciale n’est pas compatible avec le concurrent. Aujourd’hui, sous couvert de décentralisation, les collectivités refont les mêmes études, persuadées que leurs besoins sont très spécifiques, font rédiger les mêmes cahiers des charges par des cabinets de consultants et publient des marchés relativement similaires, au moins sur le fond. Ce manque de mutualisation et de coordination entraîne une véritable gabegie d’argent public.
Maigre consolation, la Direction Générale à la Modernisation de l’Etat (DGME) accouche d’un Référentiel Global d’Interopérabilité (RGI) qui devrait être publié en mars 2008 et entrer en vigueur sur l’ensemble du territoire en trois ans. Issu de l’ordonnance du 8 décembre 2005, il vise à favoriser l’interopérabilité, le transfert d’information et la compatibilité entre les différents systèmes d’information des administrations. Ce référentiel est donc entre autres la « langue commune ». Mais sa conception et sa mise en œuvre font l’objet de pressions diverses visant à le vider de son sens, à l’atrophier et à l’édulcorer. Certains éditeurs, notamment le plus grand, et quelques prestataires exercent un puissant lobbying dans ce sens. Cela peut se comprendre, les enjeux financiers sont très importants et il s’agit véritablement de rentes de situations pour ces entreprises. Là, les logiciels libres prennent tout leur sens en permettant la mutualisation, la transparence et la réutilisation.

L’impulsion doit venir du plus haut niveau
Où l’on peut s’interroger, c’est de voir l’indifférence, voire l’opposition, de certains élus ou d’agents des services publics. L’explication tient-elle dans la peur du changement, la volonté de détenir le pouvoir sur le système d’information ou l’ignorance des enjeux ? Certains se trompent de combat et qui, pour défendre la décentralisation, refuse ce qui peut être centralisé et surtout mutualisé. Certains veulent être complètement autonomes, même dans la structure des données de leur système d’information. C’est un non-sens économique et pratique au mépris de l’intérêt général. Et pourquoi ne pas décider de changer la tension électrique du secteur et passer en 300 volts ! Ce n’est pas rendre service aux administrés.
Ces questions transversales et générales sont essentielles, c’est pourquoi elles doivent être traitées au plus haut niveau. Alors que l’impulsion avait été donnée au sommet de l’Etat en 1997 avec le discours d’Hourtin et la création d’une mission rattachée au Premier Ministre, c’est aujourd’hui une des nombreuses directions dépendantes de Bercy (la DGME) qui est chargée de ces enjeux alors qu’ils sont d’autant plus prégnants.
Sans remettre en cause la décentralisation, l’Etat doit reprendre sa place de garant de l’intérêt général, de l’unité et du bien commun. C’est maintenant que les fondements de la République Numérique se construisent. Il est donc essentiel d’appliquer à la société de l’information les valeurs fondamentales républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité.

Carte Blanche parue dans (01 informatique N°1930 du 20 décembre 2007)

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